Portrait d’Agnès Nicolas, paysagiste-juin 2021

/NEWSLETTER/ La petite musique de la culture – juin 2021

Cette lettre vous présente le regard d’Agnès Nicolas, directrice de l’agence de paysage Carpe Hortem sur la situation actuelle. Je vous propose également de découvrir des bonnes pratiques en matière de .

Bonne lecture !

L’ENTRETIEN

Verbatim

« Simplicité et bienveillance sont devenus mes maîtres mots. »

Agnès Nicolas
Agnès Nicolas, Carpe Hortem
  1. Qui êtes-vous Agnès Nicolas et quelle est votre mission ? Sur quoi travaillez-vous en particulier en ce moment ?

Je suis conceptrice-paysagiste et j’ai créé mon cabinet, Carpe Hortem, voici quelques années. A l’origine, j’avais un profil commercial et marketing et ai travaillé successivement pour un cabinet d’études de marché puis à la SNCF pendant 17 ans, comme responsable marketing de diverses entités. Puis j’ai eu l’opportunité de mener les études stratégiques sur l’autopartage et le covoiturage pour le compte du TER. La recherche d’une dimension citoyenne dans l’univers du voyage m’a ensuite amenée à découvrir les nudges (ces éléments qui aident les gens à mieux vivre en changeant des choses très simples). Cette découverte a eu un impact significatif sur ma manière d’envisager le rapport aux autres.

Simplicité et bienveillance sont devenus mes maîtres mots.

Reconsidérer mes priorités professionnelles, apporter du bien-être par des actions simples m’a amenée d’abord à me rendre au Potager du roi pour prendre des cours, puis à tenter l’école supérieure du paysage de Versailles, et enfin de me lancer dans le master Jardins historiques à l’école d’architecture de la ville.

J’exerce ainsi deux métiers : celui de paysagiste au service de jardins historiques, pour lesquels je mène des réflexions stratégiques, qui peuvent être déployées dans d’autres jardins ; et celui de conceptrice pour des jardins et des terrasses plantées pour des particuliers ou des entreprises. Actuellement, je suis investie, avec des partenaires urbaniste (Guillaume Duhamel) et paysagiste (Julien Laborde) dans le parc du château de Lunéville, en Lorraine.

jardin 1 conçu par Agnès Nicolas, Carpe Hortem

 

  1. Comment affrontez-vous la crise sanitaire et avez-vous changé quelque chose à votre manière de réfléchir, d’anticiper les difficultés cette année ?

Avant les confinements, je travaillais pour environ 20% de mon temps avec des jardins historiques, pour 60% du temps avec des entreprises et le reste avec des particuliers. Cette année de crise a vu mes projets pour les entreprises s’arrêter du jour au lendemain et les commandes ne sont revenues. Si les chantiers des particuliers continuent, ils ne compensent pas la perte des entreprises.

J’ai beaucoup réfléchi à la manière de travailler aujourd’hui, en tenant compte des attentes des citoyens : tenus à résidence, certains ont redécouvert le bonheur de disposer d’un coin de verdure, même modeste. J’habite dans une ville très dense, Montrouge, qui compte beaucoup de grands balcons et de terrasses.

Tout a commencé quand un certain nombre d’amis m’ont appelée pour des conseils. Ils se sont aperçus, pendant le confinement, à vivre sur leur balcon tous les jours, que leurs plantations manquaient de cohérence, de structure ou d’unité. L’envie de beauté était très présente, pour enchanter le quotidien. C’est ainsi que progressivement, les amateurs de verdure ont eu envie de mettre les mains à la pâte.

Jusqu’à présent, mon modèle économique reposait sur une démarche allant de l’amont (conception de jardin) à l’aval (livraison d’un espace paysager fini). J’ai été obligée de le revoir, pour tenir compte de cette attente de participation active des clients. Au-delà de conseils précis, les habitants souhaitaient et souhaitent toujours, que je les aide à restructurer leur terrasse, qu’elle devienne paysagère, mais en appliquant les conseils et en étant acteurs eux-mêmes. Agir au pied de chez moi et pour les gens de ma ville constitue une nouvelle étape du développement de mon activité. Cette approche génère certes plus de discussions et plus de lenteur, car les individus font tout eux-mêmes, mais elle m’enrichit énormément ! Et la plupart de ces clients deviennent des amis…

jardin 2 conçu par Agnès Nicolas, Carpe Hortem

En parallèle, et dans le même sens, j’ai rencontré une fondation, qui gère des logements en copropriété et m’a fait part de ses besoins émergents, en lien avec les confinements successifs. Les locataires se sont regroupés pour réfléchir à la manière de reverdir les espaces partagés car ils leur paraissent trop minéraux. Avec une volonté d’appropriation, d’agir concrètement pour créer un cadre de vie esthétique. Je sens monter partout actuellement cette envie de remettre du vert, de créer de la beauté et un environnement plus qualitatif. Il est encore un peu tôt pour savoir ce que donneront ces initiatives et comment elles feront évoluer mon travail de paysagiste. Mais le fait d’agir en proximité, dans ma ville, en vue d’aider les gens à vivre mieux chez eux, me réjouit !

 

  1. Quel regard portez-vous sur les jardins, lieux de désir et créateurs de culture commune, et quels conseils donneriez-vous à un jeune tenté de rejoindre votre univers ?

Quelle que soit la surface, il me paraît indispensable de replacer le jardin dans son environnement et son histoire. On n’a jamais fini d’apprendre et de se cultiver quand on est paysagiste. On tient compte de toutes les traces laissées dans l’histoire. Par exemple, si je m’occupe d’un jardin en Bretagne, je m’intéresse au bâti breton et à la culture régionale. Je creuse sans cesse cet apprentissage de l’environnement du projet.

Et d’ailleurs, plus on voit de jardins, plus on devient créatif ! Parfois, donner des noms et qualifier tel ou tel espace permet de révéler le passé et de s’émerveiller.

C’est pourquoi je conseillerais aux jeunes de ne pas commencer par le paysage tout de suite. Allez jardiner, prenez une année sabbatique dans un jardin historique, soyez au contact des gens qui mettent les mains dans la terre, et de préférence, dans un endroit historique. Car un jardin historique nécessite de travailler différemment.

Commencez par des études de botanique, environnementales, ou par de l’agronomie si vous pouvez. Comprenez les changements climatiques. Visitez des musées, nourrissez-vous de tout ce que la nature peut donner. Soyez des éponges culturelles. Et seulement ensuite, faites des études de paysage : l’expérience est primordiale.

 

  1. Une conclusion optimiste, une envie, un fantasme ?

Cette période est compliquée pour tout le monde. Elle permet un recentrage sur l’important. Mais la filière paysagère est en surchauffe,  Il convient alors d’apprendre à anticiper davantage chaque chantier et à trouver des alternatives simples.

Faire preuve d’imagination, d’ingéniosité et de simplicité dans la conception s’avèreront indispensables désormais. Il faudra réfléchir davantage en local. Dans ce « monde d’après » les gens auront besoin de rêver, de réapprendre à vivre. Je ne connais rien de mieux que de réapprendre à plusieurs, les mains dans la terre.

Les jardins partagés aideront les habitants et les salariés en entreprise à recréer du lien. Il faudra mettre en place des visites culturelles dans les jardins, pour faire du bien à tous et à chacun.

Donc je suis très optimiste pour la suite, mais consciente que cette crise nous oblige à travailler autrement. Cette période prometteuse de changements devrait procurer du bonheur à tout le monde !

 

LE CAS

En fonction de vos publics- cibles, comment penser l’accueil, première composante d’une expérience de visite réussie ? Démonstration avec deux exemples éclairants.

L’Industrie magnifique, à Strasbourg, une expérience partagée de l’art dans l’espace public

L’événement, dont c’est la 2e édition en 2021, porte une alliance inédite entre entreprises, souvent industrielles, et artistes. Les artistes ont collaboré plusieurs mois avec les équipes des entreprises pour créer une pièce, à découvrir sur une place de la ville, le long d’un parcours balisé et pendant une dizaine de jours. C’est moins pour cette question de l’élaboration de l’œuvre, qui a déjà eu des précédents lors d’opérations de commande publique, que pour la manière dont les publics sont associés et pris en compte dans cette opération.

Des commentaires en pied d’œuvre avec les artistes sont prévues, ainsi que des visites pour l’ensemble du dispositif, grâce à l’implication de bénévoles issus des nombreux réseaux mobilisés : entreprises, artistes, galeries et ville.

Des conférences publiques retransmises en live sur les réseaux sociaux permettent de mieux comprendre comment s’est créé ce lien entre un territoire, ses artistes et ses entreprises. Un jeu concours grand public de photographies, des apéros pour les participants à l’écosystème de la manifestation, une newsletter quotidienne pendant l’événement nourrissent la sensibilisation à la thématique du mécénat entrepreunarial, et de la volonté des entreprises de faire connaître leur engagement sur leur territoire.

La force dans la vision de l’accueil pour cette manifestation réside dans la gestion anticipée du lien à distance avec les potentiels visiteurs, comme l’organisation rationalisée, en transversalité et en mode projet, avec l’ensemble des parties prenantes, privées et publiques.

Un rythme est donné, comme dans un festival, avec une pluralité de propositions qui concourent toutes à faire comprendre, facilement, l’objectif et les réalisations de la manifestation. En ce sens la qualité de l’accueil favorise le « devenir ambassadeur » des visiteurs.

Les bibliothèques, laboratoires de l’accueil de proximité

Équipement de proximité par excellence, la bibliothèque -médiathèque a subi de nombreuses évolutions ces dernières années. A l’écoute de ses publics, elle a évolué dans ses prestations et services pour correspondre aux nouvelles attentes des usagers.

La question de l’accueil est devenue centrale dans la manière de penser le visiteur, afin de lui offrir la meilleure expérience possible. Des bibliobus, aux boîtes à livres/CD/DVD de retour, en passant par les commandes en ligne sur le catalogue en libre accès des œuvres, ou l’équipement Wi-fi dans tous les espaces, les prises pour recharger son portable, les fauteuils confortables pour prolonger agréablement ses recherches ou lectures, les boîtes à idées pour l’acquisition de nouveaux ouvrages…les médiathèques développent de nouvelles relations à leurs publics, comme en témoignent les travaux de Caroline Brousse pour la BPI.

« Au-delà des services physiques ou distanciels pour faciliter le lien et l’accès au lieu et à ses objets, la bibliothèque a travaillé sur l’innovation conceptuelle en favorisant l’émergence du concept de la bibliothèque comme « troisième lieu », entre la maison et le bureau, un espace physique de socialisation.

La bibliothèque est aussi devenue un espace pour apprendre et faire ensemble.  Les Learning-centers, les Fablabs ou autres espaces d’apprentissages collaboratifs en sont les témoignages les plus emblématiques. Mais c’est un lieu vivant dans lequel la/le bibliothécaire est désormais investi du rôle de médiateur, de facilitateur du parcours informationnel et de choix aussi bien dans les collections de la bibliothèque que dans l’immensité du web.

C’est enfin le lieu de la démocratie, de la mise en capacité des citoyens à agir (l’empowerment) en les intégrant à la conception et au fonctionnement des services (démarches de Design Thinking par exemple). Cette dynamique d’innovation conceptuelle des bibliothèques publiques s’inscrit clairement dans la mouvance de l’innovation publique « centrée sur l’usager ». La notion d’accueil prend ici un sens très englobant.

L’émergence du web social et de la mobilité numérique (smartphones, tablettes, QR-Codes, géolocalisation, réalité augmentée…) a par ailleurs modifié en profondeur l’offre web des bibliothèques, qui se pensent moins comme des sites de communication institutionnelle, mais plus comme des plateformes de services et de médiation à distance. L’imprimante 3D a permis de proposer des espaces d’apprentissage collaboratif dans les bibliothèques et de faire émerger le concept de la bibliothèque tiers lieux de savoirs partagés. « 

Ainsi, les bibliothèques ont- elles revu leur accueil en agissant sur les divers points de contact avec les usagers. Une démarche qui n’est pas éloignée du marketing de la culture, tel qu’on peut l’entendre positivement pour développer fréquentation et image de proximité.

 

Confrontés à la question de faire évoluer l’accueil dans votre organisation, comment pouvez-vous transposer ces idées dans votre activité ?

La méthode que je préconise est la suivante :

  • Se fixer comme 1ère étape le diagnostic de l’existant (état des lieux des mesures prises, forces et faiblesses de la stratégie déjà déployée, opportunités et menaces dues aux attentes des visiteurs en période post-covid) en vous faisant aider d’un prestataire extérieur, qui apportera le regard distancié indispensable ;
  • En 2ème étape, définir les objectifs, les cibles et les moyens à mobiliser, sans rien oublier pour bien cadrer le projet. En particulier définir d’entrée de jeu l’ampleur et le fil rouge de votre projet tant sur les plans organisationnel que technique, écologique et économique, et de quel budget il bénéficiera de la part de l’ensemble des directions mobilisables ;
  • 3ème étape : (…) Je vous en réserve l’exclusivité détaillée !

Si je résume, pour profiter d’un projet visant à repenser l’accueil de votre institution, pour gagner de la fréquentation et une image en accord avec les enjeux du moment, il importe de le penser aussi comme un projet sur la durée, évolutif et participatif, qui nécessite une méthode claire pour le mener à bout.

Pour vous accompagner, si vous manquez de temps, et /ou si vous n’avez pas les ressources en interne, faites appel à Hélène Cascaro Conseil– Pour les artistes et la culture

 

LE LIEN

dans l’atelier de Yun-Jung Song

Yun-Jung Song dévoile son nouvel atelier, à Strasbourg. Cette artiste d’origine coréenne développe un univers enchanté, entre forêt bienveillante et personnages moitié humains, moitié arbres. Les contes et le lien puissant à la nature réconcilient avec l’exil, souhaité mais ambigu. Dans cette période de réouverture des lieux culturels, une plongée dans une démarche riche de merveilles et de douceur , grâce à ses sculptures en céramique.

 

L’ARTICLE CULTUREL DU MOIS

affiche du film Mandibules

Un article sur un film incroyable, rafraîchissant et très drôle, Mandibules, de Quentin Dupieux : une histoire de losers qui découvrent un insecte géant, une merveille de la nature et rêvent gentiment d’une nouvelle vie. Ils se satisfont d’un rien. Un éloge déguisé de la simplicité, de la sobriété et de l’amitié. A méditer et à découvrir sur La petite musique des vendredis.

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