Entretien avec Alex Reding, galeriste luxembourgeois- mai 2021

/NEWSLETTER/ La petite musique de la culture – mai 2021
Cette lettre vous présente le regard d’Alex Reding Directeur de la galerie Nosbaum-Reding, sur la situation actuelle. Je vous propose également de découvrir des bonnes pratiques en matière de reconversion-préfiguration d’un musée.
Bonne lecture !

L’ENTRETIEN

Verbatim
« Mon engagement pour les artistes se manifeste par un lien fort et un soutien continu associé à une énergie sans failles. »

Alex Reding
Alex Reding

1. Qui êtes-vous Alex Reding et quelle est votre mission ? Sur quoi travaillez-vous en particulier en ce moment ?

Après avoir été étudiant aux Beaux-arts de Düsseldorf, en 2000, j’ai décidé de faire un pas vers la création d’une structure d’exposition, que j’ai appelée L’alimentation générale, qui ne correspondait pas forcément au concept d’une galerie. Je dirais plutôt un Artist run space. Rapidement les choix que j’ai opérés en matière d’expositions et de réseaux d’artistes ont suscité une attention envers mon projet, à tel point que j’ai été invité par des foires d’art, notamment Art Brussels et la Liste à Bâle. Mon projet a donc pris une direction nouvelle qui s’est affirmé par avec le déménagement en 2006 dans les vieux quartiers de Luxembourg ville et un changement de nom en Galerie Nosbaum Reding (Nosbaum étant le nom de mon épouse Véronique).

Mon engagement pour les artistes se manifeste par un lien fort et un soutien continu associé à une énergie sans failles. Les artistes que j’accompagne ont développé de très belles carrières, preuve que l’engagement et la fidélité sont toujours payants. La galerie a bien évidemment profité du dynamisme des artistes, y a gagné en visibilité, ainsi qu’un renforcement des liens avec les institutions. Depuis, la galerie a pu commencer des collaborations avec des artistes déjà très réputés, qui ont amélioré sa notoriété. 

Meisenthal, Centre international d’art verrier


En parallèle, nous avons aussi créé une association dont le but était d’avoir un impact structurel à l’écosystème culturel à Luxembourg. 
La première étape a été la mise en place du dépliant Art actuel, outil de communication commun des galeries, puis, en 2007, quand Luxembourg était Capitale Européenne de la Culture, des projets comme Ultra-moderne avec le commissaire d’exposition Yann Châtaignier, l’exposition Welcome to Our Neighborhood conjointement organisée entre le Casino Luxembourg, la Stadtgalerie Sarrebruck, et l’Arsenal de Metz, mais également le projet Kunstmark Schule au Luxembourg en Sarre et en Moselle, en donnant aux artistes la possibilité d’élaborer avec une classe scolaire pendant toute une semaine un projet artistique.

Par ailleurs, le projet Kunstmark Schule a constitué mon premier contact avec la Halle Verrière de Meisenthal : tous les projets réalisés par les différentes classes scolaires y ont été exposés à l’automne 2007. Ceci m’a mené à fréquenter de plus en plus souvent ce fantastique village où, en 2008, j’ai fait la rencontre de Stephan Balkenhol. En 2011, avec l’artiste de la galerie, Damien Deroubaix, nous avons acheté une maison-atelier.

Damien Deroubaix


Pour revenir à l’association, elle est aussi à l’origine de la création de la foire internationale Luxembourg Art Week en 2015. La foire est aujourd’hui devenue une structure indépendante. Avec plus de 70 exposants et 15 000 visiteurs, elle est devenue le rendez-vous annuel incontournable de la scène artistique luxembourgeoise et de la région. 
La Luxembourg Art Week étant désormais sur orbite, dotée d’une équipe autonome, je me concentre à l’heure actuelle sur un nouveau projet. Effectivement, la galerie, qui fête ses 20 ans cette année, ouvrira en septembre une succursale à Bruxelles, donnant ainsi à tous nos artistes la possibilité de rencontrer le public bruxellois et par là-même permettre à la galerie de sortir d’un certain enclavement dû à la modeste taille du Luxembourg. 

2. Comment affrontez-vous la crise sanitaire et avez-vous changé quelque chose à votre manière de réfléchir, d’anticiper les difficultés cette année ?
La galerie a tout fait pour continuer à fonctionner comme d’habitude. Nous avons gardé l’intégralité de notre programme comme prévu. Nous avons fait les accrochages, les ouvertures et, pour compenser le nombre de gens manquants au vernissage, nous avons doublé les rendez-vous privatifs. 

Par contre, la crise sanitaire a apporté un changement dans le comportement de la clientèle et également au niveau de la structuration du marché de l’art en général, du fait de la non tenue des foires. Nous avons aussi remarqué que les gens ont suivi la création, les artistes et galeries qu’ils aiment sur internet, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Nos clients ont suivi nos newsletters et les échanges par mail se sont accrus, et ont permis quelques ventes. Bien évidemment, ces ventes n’ont pas été à la hauteur de celles que nous avons l’habitude de réaliser sur les foires.
Nous restons en attente de pouvoir à nouveau rencontrer physiquement nos collectionneurs. Beaucoup d’amis qui suivent la galerie ont souligné le manque de contacts réels, le besoin de se confronter aux œuvres. Le modèle de galerie, très critiqué par moments, n’est pas un mauvais modèle, bien au contraire. Cela nous encourage à continuer dans cette direction. 
Maintenant, et après une année de crise sanitaire, nous constatons qu’à travers le digital, nous touchons une clientèle plus vaste, plus internationale qu’avant, et notamment des collectionneurs qui n’avaient jamais encore été en contact avec nous. Néanmoins, il demeure difficile de prédire laquelle des deux voies prendra le dessus.

3. Quel regard portez-vous sur la culture actuellement et quels conseils donneriez-vous à un jeune tenté de rejoindre votre univers ?
Pour ce qui concerne les jeunes, c’est simple : il faut qu’ils prouvent, grâce à leur talent et à leurs initiatives, qu’ils peuvent prendre une place sur ce marché ou dans une galerie.

Quel regard sur le monde culturel ? C’est une question compliquée. Beaucoup reprochent au marché d’avoir pris le dessus dans le monde culturel. Si c’était vraiment le cas, je ne serais pas le mieux placé pour y répondre. Maintenant, si nous considérons que l’achat et la collection d’œuvres font partie intégrante du monde culturel, alors le fait d’avoir eu cette période d’isolement a changé certains comportements en permettant aux collectionneurs, grâce aux ventes aux enchères, et à l’absence de lieux physiques, de prendre le temps de s’occuper de leurs collections.

La crise sanitaire a donc probablement plus profité aux collections, peut-être moins à la culture, qui nous manque en vertu de ce qu’elle apporte en engagement sociétal. Mais en ce moment, la dictature sanitaire ne semble pas propice à beaucoup d’engagement sociétal. Le monopole de la Covid-19 dans notre quotidien, dans les médias semble tout nous dicter ; évoquer la privation de libertés est presque un tabou ; l’angoisse généralisée est nettement plus perceptible que les débats philosophiques. 

4. Une conclusion optimiste, une envie, un fantasme ?
Cette région entre Rhin, Lorraine et Ardennes me semble un terroir très intéressant. Et je fais tout pour y être utile et faire un maximum pour qu’une scène artistique s’y développe.

 

LE CAS


Quels sont les enjeux prioritaires dans la rénovation, et la transformation d’un musée ? Démonstration en 3 exemples récents et éclairants

MAH Genève
Musée d’art et d’histoire de Genève

Le musée d’art et d’histoire de Genève devient le «musée du futur », selon son directeur, Marc-Olivier Wahler.
Ce musée encyclopédique, bâti en 1910, sera transformé dans un état d’un esprit créatif, qui multiplie les regards sur les objets usuels comme des amphores ou des pièces d’horlogerie. Le musée devient plus qu’un temple des savoirs et plus qu’un lieu de consommation des savoirs. Le directeur ne souhaite plus d’expositions blockbuster, trop chères, et qui s’accompagnent d’une empreinte carbone négative.
quatre ans d’expérimentation seront utiles, jusqu’en 2024, qui verront le début des travaux, lesquels devraient s’achever en 2029. Parmi ces expérimentations, l’accent sera porté sur la transversalité des objets dans les expositions semestrielles. Des curateurs extérieurs interviendront, mais certaines expositions seront conçues par les scientifiques du musée également, facilitant ainsi de multiples regards sur les collections.

Musée d'histoire naturelle de Lille
Musée d’histoire naturelle de Lille

À Lille, le musée d’histoire naturelle est agrandi et transformé.
En 2019, il compte 122 000 visiteurs. Son chantier de rénovation et d’extension coûtera environ 20 millions d’euros et durera de novembre 2020 à février 2021. Ces travaux doteront le musée de plus de 400 m2 d’accueil supplémentaire ; un espace pour les groupes (dont les scolaires) sera prévu, ainsi qu’un café dans une ancienne bibliothèque. Le calendrier prévoit pour fin 2025 les collections, le parcours d’exposition et une augmentation de 700 m2 les espaces d’exposition.
Cette évolution se traduira également par un changement de nom, une orientation différente. En effet, le futur muséum inclura les collections du musée industriel et commercial, le musée des sciences et techniques, et le fonds ethnographique Alphonse Moillet. Ces changements seront effectués en relation avec l’avenir, le dérèglement climatique et la biodiversité. De nouvelles approches du site verront le jour comme des espaces modulables, interactifs ou immersifs.

Une nouvelle porosité des expositions et des réserves, de 45 000 pièces, permettra une compréhension plus immédiate des visiteurs quant au fonctionnement du lieu.

Musée de la Chasse et de la Nature, Paris. (Photo by Sylvain GRANDADAM/Gamma-Rapho via Getty Images)
Musée de la Chasse et de la Nature, Paris. (Photo by Sylvain GRANDADAM/Gamma-Rapho via Getty Images)

À Paris, le musée de la Chasse et de la Nature s’agrandit et engage une réflexion sur le rapport de l’homme au vivant.
Christine Germain-Donnat, sa directrice et conservatrice, prévoit une élévation de deux niveaux et la récupération de 250 m2 d’espaces d’exposition. Ouvert en 1967, avec la collection de François Sommer, venu à la cause environnementale après la guerre, ce musée ressemble à un cabinet de curiosité géant. Demain, il présentera un diorama anthropocène dans l’exposition permanente. L’art contemporain y tiendra toujours une place de choix du fait de commandes artistiques régulières.

Comment ces trois lieux s’emparent de la question d’une restauration du bâti pour en faire un projet culturel et économique à succès ?
A chaque fois, la question des attentes du public est prise en compte, avec la création d’espaces de convivialité et de services supplémentaires.
D’autre part, l’étalement raisonné des travaux permet de conforter les investissements publics, toujours lourds dans ce type de projet.
Enfin, la dimension « durable », en lien avec les enjeux cruciaux de transition écologique, sociale et économique guide les travaux, l’approche scientifique dans l’organisation des collections et le lien aux visiteurs.

Confronté à la question de la dynamisation de votre musée, comment pouvez-vous transposer ces idées dans votre activité ?
La méthode que je préconise est la suivante :

Se fixer comme 1ère étape le diagnostic de l’existant (état des lieux des mesures prise, forces et faiblesses de la stratégie déjà déployée, opportunités et menaces dues à la concurrence et aux attentes des visiteurs en période post-covid) en vous faisant aider d’un prestataire extérieur, qui apportera le regard distancié indispensable

En 2ème étape, définir les objectifs, les cibles et les moyens à mobiliser, sans rien oublier pour bien cadrer le projet. En particulier définir d’entrée de jeu l’ampleur et le fil rouge de votre projet culturel, écologique et économique, et de quel budget il bénéficiera, de la part de l’ensemble des partenaires mobilisables.

3ème étape : (…) Je vous en réserve l’exclusivité détaillée !

Si je résume, pour profiter d’un projet d’agrandissement de votre musée, pour gagner de la notoriété, de la fréquentation et une image en accord avec les enjeux du moment, il importe de le penser aussi comme un projet sur la durée, évolutif et participatif, qui nécessite une méthode claire pour le mener à bout.

Pour vous accompagner, si vous manquez de temps, et /ou si vous n’avez pas les ressources en interne, faites appel à Hélène Cascaro Conseil Pour les artistes et la culture 

LE LIEN

Compagnons du devoir Strasbourg_image Archi Wiki

Une mine d’or en matière d’architecture, créé à Strasbourg, et dont le travail remarquable profite à tous les amateurs d’architecture : Archi-Wiki

L’ARTICLE CULTUREL DU MOIS

Patrick Bailly Maître-Grand

Un article sur un photographe incroyable, bricoleur et curieux, dont les œuvres sont à retrouver dans de multiples collections de grands musées de par le monde: Patrick Bailly Maître-Grand, que j’ai eu la chance de rencontrer! A découvrir sur La petite musique des vendredis

 
 

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