/NEWSLETTER/ La petite musique de la culture – avril 2021
Cette lettre vous présente le regard de Bruno Caro, Directeur du château alsacien du Haut-Koenigsbourg sur la situation actuelle. Je vous propose également de découvrir des bonnes pratiques en matière de « démarketing touristique ».
Bonne lecture !
L’ENTRETIEN
Verbatim
« On a dû inventer une nouvelle manière de travailler ensemble, de trouver des projets pour chacun et construire ensemble le château de demain ! »
- Qui êtes-vous Bruno Caro et quelle est votre mission? Sur quoi travaillez-vous en particulier en ce moment?
Je suis le directeur du château du Haut-Koenigsbourg depuis 5 ans maintenant, site emblématique du patrimoine et du tourisme alsacien, propriété de la Collectivité européenne d’Alsace, qui a reçu 562 000 visiteurs en 2019 dont 45 % d’étrangers. J’ai une culture professionnelle faite d’un alliage composé de tourisme, de culture-patrimoine, de développement territorial (savoir-faire en matière de conduite de projets…) et d’une certaine expérience en matière de management des équipes (accompagnement au changement…) ainsi que de gestion administrative et financière. Enfin, quand on dirige un tel site, on peut être fier mais on doit rester humble car la tâche est difficile autant qu’exaltante ; n’oublions pas que notre passage au château est bref à l’échelle de son histoire longue de 900 ans ! Sa préservation doit être notre principale priorité et son rayonnement touristique et culturel un objectif essentiel !
Je ne sais pas si le terme approprié pour définir ma mission est celui de directeur ? Je donne certes une direction au projet du château au quotidien mais avant tout, je me considère comme un capitaine d’équipe sur le pont au quotidien, montant de temps en temps en haut du mât pour regarder devant et lire en même temps les nuages dans le ciel pour mieux affronter l’océan…
Ma mission est à la fois de gérer « le quotidien au château », mais également de construire les contours du « château du demain » pour répondre aux attentes des publics et assurer son rayonnement futur :
- Planification des programmes de travaux (nouvel espace de restauration et « séminaires-tourisme d’affaires » en cours), sécurité-sûreté (en tant que chef d’établissement), offre de médiation culturelle, conservation du bâti et des collections,
- Management d’une équipe de 50 agents « ETP », gestion administrative et budgétaire, liens avec le territoire de proximité, entretien de réseaux avec des partenaires nationaux et internationaux (tourisme, filière castrale et culturelle…),
- Mais également imaginer « le château de demain » dans le cadre d’une approche stratégique, prospective et surtout collective-participative (nécessité d’emmener les équipes dans cette « culture du changement ») qui permettra de continuer à répondre aux nouvelles attentes des visiteurs.
Cette crise a tout d’abord été un choc énorme avec la fermeture brutale du château et un sentiment d’impuissance, de renoncement qui s’est assez vite estompé grâce à une mobilisation collectivité, une créativité, une mode de travail novateur pour beaucoup d’agents jusque-là peu aguerris à la manipulation de l’outil informatique et au travail à distance.
Oui, nous avons réfléchi, posé les choses, observé différemment notre château, nos publics, ce que l’on ne faisait pratiquement jamais avant à ce point. On a dû « inventer » une nouvelle manière de travailler ensemble, de trouver des projets pour chacun et construire ensemble « le château » avec une offre en « période covid » mais également pour le « château de demain ».
On a continué à faire vivre le château et en parler, ce qui était « vital » pour nous. Très vite, nous avons proposé « le château près de chez vous » qui a permis notamment aux familles confinées de découvrir ou de redécouvrir le château de demain. Les guides ont proposé des petites rubriques permettant de découvrir des facettes cachées du château, des restaurateurs d’objets anciens ont été filmés et interviewés pour le plus grand bonheur des visiteurs en distanciel, etc. Une web-série a même été mise en place pour parler de cuisine au XVème siècle.
On a aussi profité de cette période de fermeture, entrecoupée de périodes d’ouverture, pour accélérer certaines choses que nous avions du mal à impulser auparavant faute de temps :
- Travaux de restauration, d’entretien et d’aménagement du château,
- Lancement de la rédaction du nouveau projet de monument (2021-2027), permettant de réinterroger notre politique scientifique et culturelle, notre offre d’accueil de médiation culturelle ainsi que notre actions marketing, de rayonnement partenariales,
- Et autres rédactions de documents cadres et de procédures liées à la sécurité ou à l’organisation interne du château.
- Quel regard portez-vous sur la culture actuellement et quels conseils donneriez-vous à un jeune tenté de rejoindre votre univers ?
Cette période est paradoxale car le monde de la culture a souffert, a été blessé, affaibli mais je suis persuadé que le sursaut arrivera ; la culture sera incontestablement « une thérapie » collective essentielle dans les mois et les années à venir.
Une nouvelle vague va probablement succéder à cette période de crise comme nous avons pu le constater dans le passé après les grandes périodes de crise récentes ou anciennes.
Par contre, il fort probable que les offres culturelles comme la nôtre (musées…) évoluent en gardant « le meilleur » de ce que nous avons pu expérimenter durant cette période covid en alliant « présentiel et distanciel », « innovation-créativité », « confort et plaisir sensoriel des visiteurs » (meilleure gestion des flux avec la mise en place de la billetterie en ligne et personnalisation plus importante des visites).
- Une conclusion optimiste, une envie, un fantasme ?
Envie d’innover, de surprendre, de monter d’autres facettes de notre joyau, en proposant de nouvelles techniques de médiation, pour (re)donner des moments de plaisir aux visiteurs afin que leur passage au château reste un moment exceptionnel d’enrichissement et de plaisir partagé.
LE CAS
À rebours de la tendance au développement touristique à tout prix, afin de favoriser la préservation du patrimoine naturel ou historique, et l’emploi local, on constate l’émergence de démarches ouvertement anti marketing touristiques.
Comment s’expliquent-elles et à quoi servent-elles ? Quel bénéfice en retire l’économie du tourisme ?
Pourquoi faire reculer l’affluence touristique ?
Plusieurs exemples témoignent d’une tendance de fond…
Le Parc national des Calanques, près de Marseille, œuvre à faire évoluer négativement son image. Si paradoxal que cela puisse paraître, la lutte contre la sur-fréquentation permet à ce territoire de renouer avec sa vocation première : la préservation de la biodiversité et la qualité de l’accueil. Nous verrons un peu plus loin comment il s’y prend concrètement.
De son côté, le Parc naturel de l’Asinara en Sardaigne est le chef de file du projet européen « Clean Sea Life » . Ce projet a sensibilisé pendant quatre ans les Italiens et permis de nettoyer les côtes du pays des déchehttps://www.lesechos.fr/monde/europe/le-gouvernement-italien-enrole-les-chalutiers-pour-nettoyer-la-mediterranee-1007682ts marins. Le projet vient de prendre fin : 170 000 personnes y ont participé et plus de 100 tonnes de déchets ont été collectées. Parmi eux, les chalutiers de la région, premiers ambassadeurs et acteurs de la démarche, dont le modèle économique dépend étroitement de la vie et du développement de la faune marine.
Mais les exemples ne concernent pas que le patrimoine naturel. La ville de Venise ainsi vient d’interdire l’accès à la lagune pour les paquebots et ferrys de grande taille (confère l’excellent article de ma confrère Evelyne Lehalle dans son blog).
Pendant des années, la ville a cherché à profiter de la manne de consommation que représentait les clients de ces bateaux à l’occasion d’un accostage de quelques heures ou d’une nuit. Hôtels et restaurants rentabilisaient leur établissement par un effet masse ponctuel mais régulier. Aujourd’hui, après des années d’effondrement progressif des fondations même de la ville, et de la dégradation de son patrimoine civil et culturel, elle privilégie un tourisme plus qualitatif, centré sur quelques événements majeurs porteurs de notoriété, et de respect dans les pratiques, comme la Biennale d’art contemporain ou la Biennale d’Architecture. Ces événements attirent des centaines de milliers de visiteurs, mais avec des moyens de transport variés : train, avion, voiture, qui dégradent moins ce site exceptionnel.
Le départ de nombreux habitants, lassés de ne plus pouvoir vivre normalement dans leur ville (nuisances sonores, augmentation des prix, embouteillages dans les ruelles) a alerté les élus. Ceux-ci ont souhaité renouer avec la douceur de vivre propre à la ville.
Quelles solutions restent possibles et corona-compatibles ?
→ La virtualisation du tourisme et le fléchage vers d’autres sites constituent l’une des réponses. Si l’expérience de la calanque ne peut s’éprouver pleinement que physiquement, le territoire peut valoriser, de manière virtuelle, d’autres lieux à faire découvrir aux alentours, afin de déporter l’intérêt des touristes.
→ La période de pandémie et les confinements géographiques qui lui sont spécifiques peuvent être l’occasion de repenser le discours sur le parc, afin de sensibiliser les visiteurs à venir sur ses enjeux de préservation.
→ Des mesures liées à l’accès ou à la communication demeurent indispensables dans la boite à outils globale qu’il importe de déployer sur le terrain.
→ Travailler sur une signalétique différente, qui incite les voitures à se garer plus loin, les visiteurs à prendre des transports en commun ou venir à pied, les bateaux à mouiller au large. Communiquer sur la qualité de l’expérience pendant les horaires ou moments de l’année moins fréquentés.
Comment faire de cette démarche un succès ?
→ S’assurer de la coopération de tous les acteurs parties prenantes. Par exemple négocier avec les offices de tourisme pour supprimer certaines parties du territoire des cartes. Contacter les influenceurs pour les sensibiliser à cette démarche éco-responsable.
→ Penser le contact et la sensibilisation au territoire en amont, pendant et après la visite.
→ Mobiliser les élus sur les bénéfices pour l’image du territoire et la qualité de vie des habitants.
→ Rejoindre les réseaux d’ONG ou associations œuvrant à la préservation du patrimoine en péril, y compris à l’échelle internationale : le site d’Angkor, par exemple, fut l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme sur les dangers du tourisme de masse …
Confronté à la question de l’articulation des enjeux du tourisme et de la sauvegarde d’un patrimoine fragile, comment pouvez-vous transposer ces idées dans votre activité?
La méthode que je préconise est la suivante :
Se fixer comme 1ère étape le diagnostic de l’existant (état des lieux des mesures prise, forces et faiblesses de la stratégie déjà déployée, opportunités et menaces dues au tourisme de masse) en vous faisant aider d’un prestataire extérieur, qui apportera le regard distancié indispensable
En 2ème étape, définir les objectifs, les cibles et les moyens à mobiliser, sans rien oublier pour bien cadrer le projet. En particulier définir d’entrée de jeu l’ampleur de votre projet politique, social et économique et de quel budget il bénéficiera, incluant les lignes budgétaires concernant aussi la communication, le graphisme, la signalétique, les chantiers à mettre en place etc.
3ème étape : (…) Je vous en réserve l’exclusivité détaillée !
Si je résume, pour profiter d’un campagne de dé-marketing optimale et source de préservation de vos atouts touristiques et environnementaux, il importe de la penser aussi comme un projet sur la durée, qui nécessite une méthode claire pour le mener à bout.
Pour vous accompagner, si vous manquez de temps, et /ou si vous n’avez pas les ressources en interne, faites appel à Hélène Cascaro Conseil– Pour les artistes et la culture
LE LIEN
Un confrère passionné d’écrits et d’innovation dans le domaine du numérique, qui met en relation et forme de nombreux acteurs de la sphère culturelle : Antoine Roland et ses Correspondances digitales
L’ARTICLE CULTUREL DU MOIS
Un article sur une initiative artistique particulièrement bienvenue dans le contexte culturel virtuel lié à la crise sanitaire : comment toucher des objets grâce à l’intermédiaire d’une médiatrice peut rendre heureux ! A découvrir sur La petite musique des vendredis