Portrait de Valérie Senghor, DGA du Centre des Monuments Nationaux-mars 2021

/NEWSLETTER/ La petite musique de la culture – mars 2021

Cette lettre vous présente le regard de personnalités du monde culturel sur la situation actuelle et s’attache à mettre en lumière des bonnes pratiques. Enfin, un bonus vous fait partager un site internet remarquable et un article de blog à propos d’un événement culturel inspirant.

Bonne lecture !

 

L’ENTRETIEN

Valérie Senghor © Benjamin Gavaudo – Centre des monuments nationaux

 

  1. Qui êtes-vous Valérie Senghor et quelle est votre mission? Sur quoi travaillez-vous en particulier en ce moment?

Je suis Directrice Générale Adjointe du Centre des Monuments Nationaux (CMN), en charge des sujets d’innovation, de développement et des grands projets. Cette mission est transversale à l’ensemble des 100 monuments gérés par cet établissement. Elle a pour enjeu d’impulser du développement par l’innovation, que ce soit dans les pratiques et les métiers en interne, ou au travers des modes de relations entre les visiteurs et les monuments.

Depuis 10 ans, le CMN s’est donné pour ambition de devenir une tête de pont dans l’innovation patrimoniale et y a consacré des moyens humains et financiers. Cela s’est traduit notamment par une intense politique d’expérimentation et de développement de projets, le plus souvent en collaboration avec de jeunes entreprises innovantes.

L’incubateur du patrimoine, lancé en 2018 par le CMN est un des outils de cette politique. Il accompagne chaque année des porteurs de projet issus de la sphère de l’économie créative, qui souhaitent expérimenter, en situation réelle, des services innovants. L’incubateur fonctionne comme un laboratoire ; il nous permet de repérer les tendances, de tester de nouvelles formes de médiation, d’éprouver la capacité à travailler autrement avec des outils innovants. L’enjeu de cet incubateur, à moyen terme, réside, au-delà de l’expérimentation, dans la possibilité de généraliser le service à l’échelle du réseau. Le CMN, opérateur de l’incubateur, est directement impliqué dans les modalités d’expérimentation. Il peut en fin de compte devenir acheteur de la solution, dans le respect des règles de la commande publique.

Le CMN développe aussi en ce moment de nouveaux formats d’expériences de visite (avec la réalité virtuelle, la réalité augmentée, etc.) ou d’expositions immersives … Dans ces domaines, la veille est indispensable pour essayer de mieux appréhender les mutations en cours, qu’il s’agisse de l’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles chaînes de valeur, de nouveaux modèles contractuels et économiques.

Mon autre casquette est celle de chef de projet de la cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts. La conduite de cette opération mobilise l’ensemble des expertises du CMN. Cette initiative est inédite pour l’établissement car elle consiste en une restauration patrimoniale d’envergure associée à la création à part entière d’un nouveau lieu culturel. Il s’agit de concevoir une future « cité de la langue française » dont le projet culturel est totalement dédié à ce thème. Elle comprendra un programme d’activités différentes qui se combineront entre elles, telles que des résidences, un parcours de visite permanent, des expositions temporaires, des spectacles, et des formations autour de la langue française. Ce projet a aussi vocation à enclencher une dynamique économique et touristique sur le plan territorial, avec un rayonnement à l’échelle nationale et internationale.

 

  1. Comment affrontez-vous la crise sanitaire et avez-vous changé quelque chose à votre manière de réfléchir, d’anticiper les difficultés cette année?

Lors du premier confinement l’année dernière, la crise nous a tous amenés je crois, d’une manière ou d’une autre, et de gré ou de force dirai-je, à prendre du recul, à nous projeter sur le moyen terme et à travailler sur des enjeux de fond.

Il me semble que la crise a accéléré une prise de conscience des transformations qui étaient déjà à l’œuvre. Cette situation exceptionnelle a finalement levé un certain nombre de freins et poussé à la mise en œuvre de projets qui jusque-là n’apparaissaient pas comme prioritaires, notamment en matière de dématérialisation de contenus ou d’expériences. La situation sanitaire a réinterrogé la manière d’appréhender le lien entre le lieu (culturel) et le visiteur. L’impossibilité d’accueillir les publics dans les sites a renouvelé le regard que l’on porte sur la visite. Désormais la visite à distance n’est plus perçue comme concurrente ou accessoire par rapport à la visite in-situ d’un lieu, mais au contraire elle apparaît désormais en parfaite complémentarité avec elle, et même comme un levier d’attractivité favorisant l’envie de découvrir physiquement le monument. Sans compter le fait qu’elle pourra engendrer de nouvelles sources de revenus, dès lors que nous serons parvenus à relever le défi de la monétarisation de ce type d’expérience virtuelle auprès des internautes.

 

  1. Quel regard portez-vous sur la culture actuellement et quels conseils donneriez-vous à un jeune tenté de rejoindre votre univers?

La culture vit une période de bouleversements. Coupés de leur public, les sites culturels sont placés face à la nécessité de se réinventer, et de concevoir, produire de nouvelles formes de narration, de nouveaux modes de valorisation de ses expertises. Ces chantiers appellent des expertises différentes de celles qui existent traditionnellement, ce qui pose la question de la formation interne des équipes en place et constitue des opportunités pour de nouvelles recrues.

On voit bien monter en puissance l’hybridation des pratiques entre le « réel » (in situ) et le « virtuel » (dématérialisé). C’est un enjeu crucial pour tous les métiers, de la communication à la conservation en passant par la médiation.

Dans un autre registre, l’impossibilité actuelle pour les visiteurs internationaux de fréquenter les sites culturels souligne l’importance de renouveler leur attractivité auprès des publics de proximité et de renforcer la fonction de lien social qu’exercent les monuments dans leur environnement immédiat. Jointe à la prise de conscience de plus en plus forte des enjeux de développement durable, la gestion de la compatibilité entre publics locaux et touristes, que je qualifierais d’« écologie de la culture », me semble devenir un enjeu majeur.

Aux jeunes qui arrivent sur le marché, je recommanderais d’être attentifs aux transformations en cours, d’aborder le secteur culturel non pas de manière statique mais dynamique. La culture n’est heureusement pas une citadelle étanche, au contraire elle est pleinement traversée par les mutations sociales en même temps qu’elle en est le reflet.  Je pense qu’une expertise acquise dans un autre domaine, par exemple dans le champ de la technologie ou du développement économique, peut constituer de réels atouts dans une période où le secteur culturel est appelé à tester de nouveaux modèles, expérimenter des axes différents de valorisation de ses « actifs » en s’appuyant en particulier sur le numérique.

 

  1. Une conclusion optimiste, une envie, un fantasme?

Au vu de l’ampleur de la crise que nous traversons et de ses répercussions psychologiques, sociales et économiques, la situation offre une occasion forcée de s’ouvrir à d’autres manières de travailler. Comment garder le meilleur de ce qui a émergé pour réinventer nos pratiques, nos métiers, comment réinterroger la responsabilité du secteur culturel vis-à-vis des défis posés par la transition écologique et inviter celui-ci à se montrer exemplaire voire précurseur dans son mode de gestion et de développement ?

 

LE CAS

Le cas pratique du mois est le suivant : les professionnels des métiers d’art peuvent-ils exister et se développer en ligne ?

@Yun-Jung Song, Outside down

La FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) dans sa version en ligne  vient de démontrer qu’une foire virtuelle permet d’espérer des ventes, d’animer une communauté de collectionneurs, de préserver « la petite musique » de l’art contemporain et d’imaginer des formats nouveaux pour susciter l’intérêt des amateurs d’art.

Ce succès concerne-t-il également l’univers des métiers d’art ? Sont-ce les seuls moyens pour les artisans d’art d’exister en ligne ?

La fin d’année 2020 a vu de très nombreuses initiatives émerger pour mettre en lumière les créations artisanales pour Noël. Plus largement le plan de relance national a visé à faciliter la numérisation des petites structures de ce secteur. Quels peuvent en être les effets positifs?

Spontanément, l’absence de contact humain, qui constitue un atout-clé de l’achat d’une pièce d’artisanat d’art, freine les professionnels. Les « à côtés » sympathiques d’une vente grâce à une discussion informelle, les services comme l’emballage sur mesure ou la jolie carte de visite glissée dans le sac ne se retrouvent pas en ligne. Le chiffre d’affaires s’avère d’ailleurs en général plus faible.

Participer à un salon en ligne nécessite d’être capable de candidater avec un bon dossier argumenté et différenciant. Investir dans une présence en salon a un coût, qu’il importe de rentabiliser. D’autres solutions sont imaginables, qui demandent une ingénierie spécifique : créer sa propre boutique en ligne, se mettre à plusieurs pour créer une boutique multi-créateurs.

Il importe ensuite de faire vivre cette présence en ligne : répondre aux demandes, ajouter des actualités régulières, articuler la vitrine en ligne avec son site internet, ses réseaux sociaux et ceux des partenaires qui diffusent les créations etc.

 

Quelles solutions pour faire de cette démarche de virtualisation un succès ?

A quoi sert l’établissement d’une base de données ? Faut-il anticiper des photographies des objets à la vente? Comment créer une scénographie pertinente?

 

Quelle vigilance avoir vis-à-vis de cette approche virtuelle dans son modèle économique ?

Comment articuler son activité physique et en ligne? Quelle saisonnalité donner aux activités en ligne? Comment assurer le suivi des opérations virtuelles?

 

Quelle valeur ajoutée offerte par une démarche numérique?

Est-elle à rechercher du côté des publics? de la notoriété? du positionnement? des recettes?

 

Quelles étapes clés avant de se lancer?

Un état des lieux dynamique? Une veille orientée? Une volonté affirmée de s’inscrire dans une approche digitale?

 

Fort de tous ces questionnements, comment pouvez-vous alors transposer dans votre activité ces idées ?

La méthode que je préconise est la suivante :

Se fixer comme 1ère étape le diagnostic de l’existant numérique (état des lieux, forces et faiblesses, opportunités et menaces) en vous faisant aider d’un prestataire extérieur, qui apportera le regard distancié indispensable

En 2ème étape, définir les objectifs, les cibles et les moyens à mobiliser, sans rien oublier pour bien cadrer le projet. En particulier définir d’entrée de jeu l’ampleur de votre projet numérique et de quel budget il bénéficiera, incluant les lignes budgétaires concernant aussi la communication, le graphisme, la logistique etc.

3ème étape : (…) Je vous en réserve l’exclusivité détaillée J

→ Si je résume, pour profiter d’une présence numérique optimale et source de recettes comme de notoriété, il importe de la penser aussi comme un projet en soi, qui nécessite une méthode claire pour le mener à bout.

→ Pour vous accompagner, si vous manquez de temps, et /ou si vous n’avez pas les ressources en interne, faites appel à Hélène Cascaro Conseil– Pour les artistes et la culture

 

LE LIEN

@musée des Cultures de Bâle- masque Komo

Le site de l’ICOM consacré à la résilience des musées permet de prendre connaissance des bonnes pratiques d’un secteur mis à mal par la crise sanitaire. La volonté d’avancer, l’innovation des méthodes et contenus, la force du réseau : autant d’éléments qui valorisent le dynamisme des musées et leur capacité à rebondir collectivement. Une initiative de l’ICOM très salutaire et riche d’enseignements.

 

 

L’ARTICLE CULTUREL DU MOIS

@Arte- série En thérapie-2021

Un article sur une série d’ARTE particulièrement bienvenue dans le contexte anxiogène lié à la crise sanitaire. Le quotidien d’un analyste et de ses patients permet de prendre une distance certaine avec la situation. Quand la culture aide à mieux vivre ! A découvrir sur La petite musique des vendredis

 

 

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